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Le livre du mois : Mont Saint Michel - A la table des soeurs

Rencontre avec Laurence du Tilly, auteure du livre Mont Saint Michel - A la table des soeurs publié le 2 novembre dernier aux éditions Hachette (28 €)

On peut dire que tout a commencé… avec un crumble de légumes cuits à la vapeur, en l’occurrence une courge butternut, un bouquet de carottes, une tête de brocoli, deux gros navets et trois beaux oignons. Laurence du Tilly se consacre alors à l’ouverture de divers lieux de vie et à la création d’une ligne de mobilier mais en ce mois de mars 2021, cette ancienne styliste culinaire pousse les portes de l’abbaye du Mont Saint-Michel pour y vivre la première retraite spirituelle de sa vie à 92 mètres d’altitude.

C’est lors d’un dîner avec les sœurs de l’abbaye qu’elle tombe sous le charme de ce plat qu’elle nous décrit par téléphone comme “extraordinaire”. Les repas se faisant dans le silence absolu, elle attend d’être au parloir pour confier à Soeur Claire : “J’en ai fait des bouquins de cuisine mais je n’ai jamais rien mangé d’aussi bon”. Enchantée par ces propos, Claire s’en va chercher ses soeurs avant de faire part à Laurence du Tilly de ce qui est – au mieux – un signe de Dieu – au pire – un très heureux hasard : voilà plusieurs mois que ces dernières projettent d’écrire un livre de recettes !

Qui pour faire les photos ?

“Les sœurs rêvaient de publier un livre de cuisine parce que Noëlle Benoist – une jeune femme qui avait l’habitude des retraites spirituelles au Mont Saint-Michel – leur en avait donné l’idée”, ajoute Laurence du Tilly. Une très bonne idée. Sauf que Noëlle Benoist travaille… au ministère des Finances et n’a par conséquent aucune expérience dans le milieu de l’édition culinaire (elle signera néanmoins les légendes des photos). “De mon côté, je m’étais jurée de ne plus jamais faire de livres de cuisine, mais après avoir goûté à ce plat… j’étais obligée de les accompagner”, se souvient Laurence du Tilly. Restait une question : qui pour faire les photos ?

Laurence du Tilly a tâté le métier quand elle faisait du stylisme culinaire mais n’est pas une professionnelle en la matière. Sauf que… ”Il était hors de question de chambouler le quotidien des sœurs en se pressant ou en imposant un photographe extérieur. Je me débrouillais en photo puisque j’en faisais beaucoup pour moi et surtout, j’avais tissé de vrais liens de confiance avec elles”. La machine était lancée.

Pendant une année, tous les deux mois environ, l’apprentie photographe passe quatre jours à l’abbaye pour un shooting au rythme des saisons. Elle suit le planning des soeurs en se rendant au réfectoire après les laudes (prières du matin) pour prendre le petit-déjeuner servi sous forme de buffet à 7h30. Des fruits, du pain, des laitages et parfois – “c’est pas non plus le Club Med”, rappelle la photographe – leur fameux granola maison dont on retrouve la recette dans le livre sous l’appellation “céréales de fête”.

Pas d’artifices pour les shootings

Ensuite, toutes vaquent à leurs occupations selon le planning mis en place par Sœur Emilie, l’intendante : entretien du potager – y poussent roquette, verveine, pommes, blettes, figues et fruits rouges en saison –, courses que Sœur Anne-Marie effectue tous les mercredis matins, au marché de Pontorson (Manche) d’abord puis à l’Intermarché à proximité, et bien sûr la cuisine, qu’elles préparent à tour de rôle. Puisqu’elles sont sept, la cuisinière change chaque jour.

Essayons d’imaginer. Il est midi, le réfectoire s’anime : au centre de la table en forme de “U” s’installe la Mère Supérieure. À sa gauche, deux sœurs se relaient pour lire des textes religieux, tout au long du repas. À sa droite, sont assises les deux sœurs chargées du service. Entrée, plat et dessert se dégustent en une grosse demi-heure dans le silence total avant que toutes s’attèlent au débarrassage et à la vaisselle. Le soir, un menu plus léger est servi, parfois composé des restes du repas précédent.

Sur les quatre jours qu’elle passe à chaque fois à l’abbaye, Laurence du Tilly photographie jusqu’à vingt recettes. “En général, on shootait deux plats le matin et deux ou trois autres l’après-midi. Tout ça sans aucune mise en scène puisque ça devait être mangé au déjeuner et au dîner.”, raconte-t-elle. Tout était shooté tel quel, en cuisine ou dans le réfectoire. Sans chichis et sur le vif”, insiste l’auteure qui confesse tout de même y avoir mis son grain de sel. “C’est vrai que je leur ai donné quelques tips par rapport au dressage pour rendre les images encore plus visuelles – que voulez-vous, c’est mes restes de styliste. D’où les quelques fleurs de pensée, feuilles de persil et brins de ciboulette du potager qui ornent la salade de carottes au cumin par exemple.”

Brookie et cheesecake avec des fruits de saison

Il y a des jours avec salade de carottes et lieu noir aux blettes. D’autres sont prétexte à plus de fantaisie : cheesecake recouvert de fruits de saison et brookie – gâteau tendance qui est un hybride entre un brownie et un cookie – comptent parmi les desserts signature les plus “foodporn” des lieux. “Attention, les sœurs sont très ouvertes. Très cool !”, m’avait prévenue Laurence du Tilly.

Pour preuve de cette ouverture, non seulement au monde mais aussi aux autres : la collégialité de leurs décisions. “Elles ne font jamais rien sans l’accord de toutes. D’ailleurs, le dimanche, quand je quittais l’abbaye, le rituel voulait que l’on passe en revue les photos qui avaient été prises pendant mon séjour afin que soient supprimées celles qui ne faisaient pas l’unanimité.” Ainsi s’achevaient systématiquement les quatre jours de shooting. Tout en douceur – Laurence du Tilly l’avait promis. “Et en joie !”, insiste-t-elle, comme pour refuser à tout prix l’amalgame entre sérénité et ennui.

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