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Hommage à Elisabeth Scotto, Madame fiches de cuisine “Elle”

En général, on raconte une histoire autour d’un livre. Mais on s’est dit qu’on allait plutôt vous raconter cette fois feue Elisabeth Scotto, une grande dame de la presse et de l’édition culinaire qui est décédée le 26 septembre 2022 à l’âge de 69 ans. Elle fut l’autrice de plusieurs livres de cuisine édités par Hachette à la fin des années 1990 avec comme thèmes les pâtes, la cuisine minute, familiale ou économique. Mais son héritage le plus important est lié aux fameuses fiches cuisine qu’elle imaginait pour le célèbre hebdomadaire féminin.

Elisabeth Scotto n’est plus et le monde de la gastronomie perd l’un de ses grands talents. « Une influenceuse (dans un sens plus noble que celui qu’on utilise aujourd’hui) », considère la consultante et chroniqueuse télé Frédérick Ernestine Grasser Hermé (FeGH). Il faut dire que, pour cette dernière comme pour beaucoup d’autres, les sœurs Scotto ont été des modèles. Des Sages. Catherine Roig, ex-rédactrice en chef lifestyle du magazine « Elle », se souvient : « Moi et les femmes de ma génération [elle a 59 ans, NDLR] nous considérions comme leurs petites sœurs. » À côté de Marianne Comolli (l’aînée disparue en 2016), de Michèle Carles (la cadette à qui nous présentons nos sincères condoléances) et d’Elisabeth (la benjamine qui vient de nous quitter), « nous étions tous incultes », ajoute FeGH. Et de poursuivre : « Toutes les trois avaient une plume. Quand on lisait leurs livres [elles ont co-écrit plusieurs livres de cuisine dont La Bible culinaire des soeurs Scotto , NDLR], on ne pouvait s’empêcher de saliver. Leurs textes, c’étaient des bonbons. Des filles qui savent parler de nourriture comme ça, sans esbroufe, c’est rare. »

La Méditerranée et le Japon

Née en Algérie dans une famille sicilienne, « Scotto » (c’est ainsi que beaucoup l’appelaient) avait une connaissance innée de la cuisine méditerranéenne. Parallèlement à son goût prononcé pour la pasta et les poissons – son père était sardinier –, elle cultivait une réelle passion pour le Japon. De ces deux influences est née la cuisine fusion nippo-méditérranéenne qui la caractérise. Preuves en sont ses madeleines au thé matcha, sa crème anglaise au shiso et ses pâtes au gingembre qu’elle aimait préparer et préparer encore. Des recettes d’une simplicité biblique, à l’image de la cuisine ménagère dont elle a permis la démocratisation. « On lui doit cette reconnaissance des cuisines simples et familiales », insiste Annabelle Schachmes, également auteure culinaire. Pour la journaliste culinaire Cathering Roig qui a longtemps travaillé avec elle, « Elisabeth Scotto était une cuisinière hors pair comme on en connaît peu : elle savait faire aussi bien de la cuisine ménagère que gastronomique que de la pâtisserie, que de la glace. C’était une cuisinière universelle. »

Celle qui ne disait jamais « non »

Elle à table, Psychologies, Cosmopolitain, Madame Figaro, Marie France, Cuisine et Vins de France… Elisabeth écrivit pour toutes les revues culinaires avec pignon sur rue. Mais ce qu’on retient surtout de sa carrière vertigineuse, ce sont les fiches cuisine du magazine « Elle » dont elle a été responsable de 2000 à 2015. Cathering Roig, qui était alors sa supérieure hiérarchique, se souvient : « Toutes les recettes étaient testées et re-testées. Quant au stylisme, elle détestait la sophistication : pas de vernis ni d'huile et surtout pas de plâtre dans les glaces. Tout ce qu’elle cuisinait devait pouvoir être mangé. D’ailleurs, les jours de shooting des fiches cuisine [tous les shootings pour le magazine avaient lieu dans le même studio, à Saint-Ouen, NDLR], les rédactrices mode et déco se battaient pour être là ; il n’y avait pas meilleure cantine. » Parmi mille autres, Cathering Roig se rappelle cette journée de shooting : « “Un soufflé dans une boîte de conserve ? C’est quasiment impossible mais on va le faire.” Voilà ce qu’Elisabeth m’a répondu quand je lui ai soumis cette idée saugrenue. Elle avait raison : le soufflé ne montait pas. Elle l’a donc fait cuire dans un moule en porcelaine avant de le transvaser dans la boîte de conserve. Résultat ? On a recommencé plus d’une fois mais la photo était dingue. » Une map monde à réaliser avec des ingrédients de la couleur du drapeau des pays ? « Pas de problème », répondait-elle. Pas de couleur artificielle en cuisine, que de la betterave et autres baies roses : jamais de trucages donc avec des huiles ou du vernis comme le veut la pratique, elle détestait ça.

La patte Scotto

Cathering Roig n’a pas oublié l’amour que portait Elisabeth Scotto au zeste de citron. « Qu’est-ce qu’elle en mettait… Je lui disais parfois “Euh Elisabeth, on pourrait faire des fiches cuisine sans zeste ? Il y en a quand même un petit peu partout”. En même temps, c’est vrai qu’ajouter un zeste de citron un peu caramélisé sur des pâtes, c’est dément. Huile d’olive, ail, tomate saisie, beaucoup de zeste de citron, c’est dément, oui. » Et puis il y avait également une recette fameuse imaginée par les trois soeurs : le crousti-moelleux au chocolat d’une grande légèreté. De passage à Shanghai il y a environ 25 ans pour donner un cours de cuisine, elles veulent présenter un fondant au chocolat. Mais au dernier moment, elles considère qu’il sera trop riche et trop gras. « Elles ont séparé le beurre et le chocolat au lieu de les touiller ensemble comme on le fait tous. Elles font d’abord fondre le chocolat puis elles ajoutent le beurre en très fins filets. C’est un gâteau mythique car facile à faire mais très fin et équilibré », estime Cathering Roig

Sa Majesté la « Reine du X »

Quand l’assistante d’Elisabeth, notamment chargée de laver la vaisselle et d’éplucher les carottes, était en congés, Cathering Roig s’y collait volontiers. « Certes, je suis ta cheffe, mais aujourd’hui, considère-moi comme ta commis. », la priait-elle. « Elle m’engueulait parce que les œufs n’étaient pas assez bien pochés ou les carottes pas assez bien coupées. Et je lui répondais, en plaisantant : “Mais comment tu me parles ? Je suis ta supérieure !” ». Tous ceux qui l’ont un jour croisée sont unanimes : Elisabeth passait son temps à rire. Et lorsque le photographe Edouard Sicot et l’équipe du « Elle » l’appelaient « la Reine du X » pour la taquiner parce qu’elle disposait toujours les brins de ciboulette en croix sur ses assiettes, elle riait de plus belle.

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