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Le livre du mois : Recettes secrètes des palais italiens

Rencontre avec Alba Pezone, auteure du livre Recettes secrètes des palais italiens publié le 30 novembre dernier aux éditions Hachette

« À vendre, appartement avec terrasse. » Quand elle a vu cette pancarte placardée sur la façade du Palazzo dello Spagnolo, un sublime hôtel particulier en plein cœur de Naples – sa ville natale – Alba Pezone n’a pas pu résister. Depuis, quand elle n’est pas dans son appartement du XVIIIe arrondissement de Paris – elle a vécu plus de la moitié de sa vie en France et passe tous ses mercredis et samedis matin au marché de Barbès (« le plus beau qui soit ») – elle mène une vie de palais à la napolitaine. « J’y ai passé six mois pendant le confinement et quand les règles de distanciation se sont assouplies, j’y ai organisé énormément de repas. Mon appartement au sein du Palazzo était devenu LE point de rencontre avec mes amis du quartier (NDLR :  tous l’appellent « a Francese », « la Française »). Alors, quand le confinement a été levé, je n’avais qu’une idée en tête : visiter l’Italie à travers ses palais et y cuisiner des recettes inédites. »

Le 16 décembre 2020 – « j’ai encore toutes ces dates à vif », marmonne-t-elle dans sa barbe – Alba Pezone vend à Catherine Saunier-Talec, directrice d’Hachette Pratique, l’idée d’une œuvre hybride, entre voyage et cuisine. Cinq minutes après, le verdict tombe : « Banco, j’achète », lui répond celle sans qui le neuvième ouvrage de l’auteure n’aurait sans doute jamais vu le jour. Le road-trip peut commencer ! Ou presque…

Six semaines d’écrémage

Avant d’arpenter la Botte, Alba Pezone le sait : elle doit s’atteler à un travail de recherche colossal consistant à sélectionner 25 dimore  (en français, demeures historiques) parmi les plus de 700 répertoriées par l’Association des Demeures Historiques Italiennes (ADSI, Associazione Dimore Storiche Italiane). « J’ai trié en me basant sur divers critères : déjà, je tenais à ce que l'on retrouve une certaine diversité dans les dimore : des palais, des fermes fortifiées, des châteaux et des domaines, mais aussi des ermitages, des abbayes et des monastères ou encore des maisons de campagne… Ensuite, je ne voulais que des lieux où l’on puisse séjourner si ce n’est manger ; Ce livre, c’est aussi un guide de voyage. »

Six semaines d’écrémage plus tard, vient le temps de l’écriture des recettes qu’elle tient à imaginer spécialement pour le livre. Un pari audacieux quoique gagné d’avance pour l’auteure ; après dix ans de conseil en entreprise à La Défense, la Napolitaine s’est offert le luxe de « cultiver sa passion privée pour la cuisine » en intégrant l’école Ferrandi où elle a collectionné les CAP (cuisine, pâtisserie, chocolaterie, confiserie, glacerie) avant de fonder sa propre école en 2004 (Parole in cucina, fermée depuis 2019).

Recettes sur mesure

La cuisine française, Alba Pezone préfère pourtant la laisser à d’autres. Contrairement à la cuisine italienne : « Quand je ne suis pas en train de travailler sur un livre de recettes italiennes, je conseille des entreprises d’agroalimentaire transalpines installées en France (Barilla, récemment) ou je forme le personnel de certains restaurants italiens à Paris (ndlr : elle intervient sur le sourcing, la carte, les recettes…). C’est parce que je connais très bien cette cuisine que j’ai eu envie de me challenger en ne proposant que des recettes exclusives pour le livre. »

Exclusives mais aussi pensées sur mesure pour chaque dimora où elles seront préparées et shootées. « Je voulais que les recettes racontent non seulement les demeures, mais aussi les régions où elles se trouvent : une cuisine un peu aristocrate à Palerme, une registre plus paysan à Catane et, en bord de mer comme à l’Abbazia La Cervara (Gênes), du poisson, évidemment. », explique l’auteure.  Ainsi naît la centaine de recettes dessinant l’ouvrage, à raison de quatre par demeure : une entrée, un plat, un dessert et une quatrième plus « proustienne » – comme, par exemple, une spécialité chère à l’un des propriétaires.

Les Pouilles à l’automne, le Lac de Garde en hiver

Le 9 avril 2021, Alba Pezone entame son voyage à travers la Botte avec Matteo Carassale, un photographe lui aussi italien dont Hachette lui a vanté les mérites. « Les portraits, les jardins, la cuisine… Il sait tout photographier. » C’est le début d’un road-trip en tandem long de plusieurs mois, rythmé par les saisons : « J’aime plus ou moins les régions italiennes selon l’époque de l’année à laquelle on les visite. Les Pouilles, par exemple, sont tellement plus belles passé le « cagnard » de l’été : la lumière est magnifique, la mer encore chaude et certains ingrédients d’automne commencent à pointer le bout de leur nez. Naples, je la préfère en octobre parce que c’est le mois de mon anniversaire que j’essaie de toujours fêter là-bas. Enfin, pour les régions du Nord – la Vénitie, le Piémont, la Lombardie –, je voulais une ambiance fantomatique. Une sorte de présence-absence que l’on ne retrouve qu’en hiver. »

De ces quelques nuits dans le Nord, l’auteure garde un souvenir ému… et glacial. « Certaines dimore sont inhabitées à cette période de l’année. Les propriétaires en ouvraient les portes juste pour nous. Forcément, elles n’étaient pas toujours chauffées. On s’est gelé ! ». Le prix à payer pour contempler le Lac de Garde sous la brume.

Ingrédient mystère

Dans chaque dimora, le duo ne reste qu’une journée et demie en moyenne. D’où le réveil aux aurores pour s’éviter la course qu’impose le shooting du lieu et des quatre recettes. Parfois même cinq : « L’ingrédient qu’on retrouve à chaque fois, c’est la surprise. Par exemple, quand j’ai vu que Maria Grazia (ndlr : la propriétaire de la Masseria Potenti, une ferme fortifiée dans le Salento) faisait son propre pain pour le petit-déjeuner avec du miel et une farine complète, j’ai décidé d’ajouter la recette dans le livre, quitte à bousculer le planning et la maquette. »

Il y eut aussi Mirella, la cuisinière hors-pair du Castello Ruspoli (Latium) qui fit découvrir à l’auteure les gnocchis co’ a grattacacio – des gnochettis dont le façonnage se fait sur le dos d’une râpe à fromage. « Quelle inventivité ! Je ne m’attendais pas du tout à ça. », se souvient-elle non sans une pointe de nostalgie. Et de conclure : « Si ce livre est un voyage sensoriel et pas un simple catalogue, c’est uniquement grâce à cela : l’inattendu. »